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Photo du rédacteurFanny Guepin

Dans les yeux des femmes


Aujourd'hui, je vais vous parler d'une femme comme les autres, mais dont le regard raconte une autre histoire. Nous croisons des femmes comme elle tous les jours, dans la rue, dans le métro et au travail. Elles ont tous les âges, toutes les origines et viennent de tous les milieux sociaux. Mais qu'est ce qui donne à ces femmes ce regard si particulier ?


Je suis sage-femme, des femmes j'en croise des dizaines tous les jours lorsque je suis à l'hôpital. Si la majorité d'entre elles vivent un moment de bonheur, certaines, si on cherche bien vivent également des moments difficiles. 


C'était une garde comme les autres aux urgences obstétricales. Avec une aide soignante, nous accueillons 24h/24h des femmes venant avec des contractions, des douleurs, des pertes de sang ou une rupture de la poche des eaux par exemple. Ce jour là, la salle d'attente était pleine et comme mes collègues je courais déjà partout. Une femme, enceinte de presque 8 mois, est arrivée avec le SAMU pour des brûlures d'estomac intenses. Lorsque je regarde son dossier je vois qu'elle vient pour la troisième fois consulter aux urgences pour le même symptôme malgré une ordonnance et des conseils donnés à chaque fois. Légèrement agacée, je lui demande si elle a pris le médicament prescrit. Elle me répond innocemment que son conjoint n'est pas allé le chercher à la pharmacie. J'aurais pu en rester là, lui refaire une ordonnance et la laisser rentrer chez elle. Pourtant ce jour là, quelque chose dans ses yeux m'a fait ajouter "Mais pourquoi vous n'y êtes pas allez vous même à la pharmacie ?". Sa réponse m'a plutôt déconcertée, elle a simplement dit "je n'ai pas le droit d'y aller". Cette femme, comme vous et moi, n'avait pas le droit d'aller à la pharmacie sans l'accord de son conjoint. Son regard s'est embué et elle m'a livré une histoire qu'elle n'avait encore jamais racontée à personne.


Malheureusement son histoire n'avait rien d'originale, le début est rose, un couple amoureux avec un homme aux petits soins pour elle. Petit à petit, l'isolement, elle ne travaille plus, ne voient plus ses amis, ni sa famille. Ensuite, arrive les remarques désobligeantes puis les insultes et enfin les coups. Le cercle de la violence est toujours le même : tension, violence, excuse et lune de miel puis retour à la tension. Et l'emprise, de plus en plus forte, laisse croire aux femmes que la lune de miel va durer sans reprise de violence mais au fur et à mesure les phases d'excuses et de lune de miel sont de plus en plus courtes au profit de la violence. La violence physique bien que la plus connue et visible n'est pas la seule, il y a également la violence psychologique (insultes, menaces, critiques, jalousie abusive...), financière (confiscation de la carte bleue, monnaie comptée, absence de participation aux dépenses communes...), sexuelle (viol conjugal entre autres) et administrative (confiscation des papiers d'identités). 


Ce soir là, après ses larmes, je lui ai donné deux numéros à joindre : celui de l'assistante sociale de l'hôpital pour voir avec elle si des démarches étaient possibles et le 3919 un numéro d'aide pour les femmes victimes de violences. Ce soir là et c'est son conjoint qui est venu la chercher malgré ma proposition d'hospitalisation pour la mettre à l'abri. Ce qui manque le plus à ces femmes c'est la confiance en elle et la confiance de la part des autres et du personnel soignant notamment. Une de ses phrases qui m'a le plus marquée est "mais quand vous l'aurez vu, vous allez penser qu'il est gentil et vous n'allez plus me croire". Les conjoints violents sont souvent très polis envers les personnels médicaux, ils sont prévoyants et aimable quand il y a du public. Mais certains signes doivent nous mettre la puce à l'oreille, ils répondent aux questions concernants leurs femmes avant elles, ils ont avec eux les papiers de leurs femmes et sont souvent là pendant les consultations programmées.


En partant ce soir là elle m'a juste dit "merci".


Cette femme est revenue aux urgences une à deux fois par semaine jusqu'au terme de sa grossesse. A chaque fois pour un motif de consultation dérisoire mais maintenant que son histoire était connue et notée sur son dossier médical elle pouvait en parler librement et se débarrasser un peu plus de ce poids à chaque fois. Je l'ai prise en charge deux autres fois et systématiquement, je lisais dans ses yeux une sorte de bonheur de me voir, comme si je lui avais changé la vie, même si à chaque fois elle rentrait chez son agresseur. Elle me remerciait à chaque de lui avoir posé la question et surtout de l'avoir cru lorsqu'elle m'avait donné sa réponse. 


Je l'ai retrouvé pour la dernière fois trois jours après son accouchement en suites de couches avec son bébé qu'elle regardait avec des yeux pleins d'amour. Pour la première fois je la trouvais souriante. Elle m'a expliquée que son conjoint avait arrêté les violences depuis que l'assistante sociale lui avait conseillé d'aller en parler à la police et que le conjoint était au courant. Ses belles-soeurs s'étaient rapprochées d'elle et la soutenait.


Ce jour là, elle m'a pris dans ses bras, elle m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit "c'est grâce à toi que je vais mieux".


Je ne sais pas si elle va un jour avoir le courage de partir, de quitter cet homme qui lui fait du mal, pour elle, pour son enfant. En attendant, elle sait désormais qu'on l'a cru, qu'on lui a fait confiance et j'espère vraiment que cela suffira à lui donner suffisamment de confiance en elle pour un jour faire sa valise et partir. Alors n'oubliez jamais de regarder dans les yeux des femmes, elles ont peut être besoin qu'on leur pose juste une question de plus.


 

Dans cet article je vous parle d'une histoire vraie, que vous soyez soignant ou non, nous pouvons tous jouer un rôle pour aider les femmes victimes de violences.


http://www.solidaritefemmes.org

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