La maternité de Mamoudzou, une usine à bébé ? Il y a presque 10 000 naissances par an sur une île de seulement 376 kilomètres carrés ! Mayotte est le département le plus jeune de France, la majorité de la population à moins de 17 ans et demi et cette population a augmenté de 18% en seulement 5 ans. L'immigration venant des Comores voisines explique en partie cette augmentation rapide.
Le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) regroupe :
- 13 centres de consultations et de soins de proximité = dispensaires et PMI (Koungou, M'Tsapéré, Passamainty, Vahibé, Dembeni, Bandrélé, Boueni, Sada, M'Tsangamouji, Acoua, M'Tsamboro, Labattoir, Pamandzi)
- 4 centres de références qui assurent une permanence médicale, des urgences 24h/24, de la médecine générale et des lits d'obstétrique = maternité périphérique de Dzoumogné au Nord, Kahani au Centre, M'Ramadoudou au Sud et Dzaoudzi sur Petite Terre
- le site principal de Mamoudzou qui assurent l'essentiel des actes spécialités et plus de la moitié des accouchements
Contrairement à la Métropole, une grande partie des patientes n'a pas de sécurité sociale car il y a des femmes, nombreuses, qui arrivent des Comores. Toute la prise en charge de la grossesse s'organise selon la sécurité sociale ou non. Ainsi, les femmes avec sécurité sociale sont suivies en libéral pour toute la durée de la grossesse grâce à l'important réseau de sage-femme libérale même en cas de grossesse pathologique. Seules les consultations du 9e mois et les consultations d'anesthésies seront effectuées au CHM (maternités périphériques ou centrale). Le suivi du post-partum sera également fait en libéral. Concernant les patientes sans sécurité sociale, il s'agit d'un suivi en PMI pour toute la grossesse sauf le 9e mois et la consultation d'anesthésie ainsi que les grossesses pathologiques à la maternité (périphérique ou centrale). Le suivi du post partum sera fait en PMI (visite post natale) et en dispensaire (soins). Les nouveaux-nés seront ensuite suivis en PMI par les pédiatres ou les médecins généralistes.
La grande majorité des patientes parle Shimaoré (dialecte proche du Swahili), Anjouanais (Comores), ou Malagasy (Malgache) et parfois pas du tout Shizoungou (Français). Il nous faut donc apprendre les rudiments de la langue pour réussir à communiquer avec les femmes, heureusement les aides soignantes et auxiliaires de puéricultures sont mahoraises et nous permettent une traduction plus complète en cas de besoin. Voilà quelques mots qui peuvent nous aider :
Bonjour Madame = Gégé Boueni
Merci = Marahaba
Au revoir = Kwahéri
Oui / Non = Ewa / Ana
Avez vous mal ? Où ? = Oussikodza ? Havi ?
Allongé / Assis / Debout = Lala / Ketsi / Hima
Allez-y / Attendez / Venez = Indra / Lendra / Ko
Poussez / Respirez = Caza / Hedza poum
Intense / Grand ou beaucoup / Petit ou un peu = Souafi / Bolé / Titi
Normal = Fetché
Bébé / Fille / Garçon = Monazaza / Mtchubaba / Mtchumama
Vite / Doucement / Stop = Araka / Volé Volé / Bassi
Hier / Aujourd'hui / Demain = Jana / Léo / Méso
Sang / Liquide / Contraction = Damou / Maji / Skodza Mimba
La maternité, malgré son activité est plutôt petite, il y a donc toujours un flux tendu pour le nombre de lits disponibles. Une partie de notre travail est donc d'organiser des transferts de patientes depuis l'hôpital de Mamoudzou vers les maternités périphériques. En salle de naissance par exemple, il y a seulement 7 salles d'accouchements et il faut toujours en garder une disponible pour les femmes qui arrivent à dilatation complète prête à accoucher (et ça arrive très souvent). Les mamans et leurs bébés se retrouvent donc souvent à attendre une navette de transfert à trois dans une chambre de pré-travail ou parfois dans le couloir...
En salle de naissances
4 sages-femmes + 4 auxiliaire puer ou aide soignante en salle et 2 SF + 1 AP/AS aux urgences
1 salle de monitoring + 3 salles de pré-travail + 7 salles de naissance
Les femmes sont pour beaucoup de grandes multipares, les femmes qui accouchent de leur huitième ou neuvième bébé ne sont pas rares. Les femmes sont souvent jeunes (ou très jeunes) pour leurs premières grossesses. Globalement les mahoraises (et les comoriennes) accouchent vite, elles arrivent souvent avec une dilatation du col bien avancée et le col se dilate vite. Le taux de déchirure est assez faible et celui d'épisiotomie également.
Les accouchements à domicile, ou dans le camion des pompiers, sont assez fréquents et nous devons donc prendre en charge les femmes, avec leurs nouveaux-nés, à leur arrivée en salle de naissance pour gérer la délivrance, parfois la déchirure et évidement le dossier et les papiers à remplir. Les surprises sont nombreuses à cause des datations tardives de la grossesse et donc les dates de terme sont parfois imprécises comme le poids estimé du bébé. Certaines femmes ont de ruptures de suivi à cause d'aller retour entre les Comores et Mayotte, elles sont parfois renvoyer aux Comores par le Police aux Frontières (PAF)
Le taux de péridurale est assez faible (même si elle est possible à la maternité de Mamoudzou avec des anesthésistes sur place en permanence) et les mahoraises sont souvent très impressionnantes dans la gestion de la douleur. La présence des mères ou belles-mères accentue le tabou de la douleur, dans cette société matriarcale, il faut savoir enfanter en silence malgré l'absence de péridurale. Il y a une omerta générale sur la douleur ressentie pendant le travail et l'accouchement. Entre elles, les femmes critiquent beaucoup la péridurale et celles qui la choisissent.
Pour le travail de sage-femme, il est équivalent à celui en métropole hormis une activité souvent soutenue mais qui est compensée par une coopération forte entre les collègues. On apprend quand même à faire beaucoup de choses par nous même lorsque les aides soignantes ne sont pas disponibles. Le plus fastidieux, c'est le remplissage des dossiers encore en format papier pour la très grande majorité.
En suites de naissances
3 SF + 1 puéricultrice (jour) + 1 auxiliaire de puériculture + 3 AP/AS
13 chambres seules + 10 doubles + 5 triples
Les femmes ne restent pas très longtemps hospitalisées après leur accouchement. Nombreuses sont celles que l'on transfère dans une maternité périphérique pour faire de la place pour les suivantes. Certaines directement quelques heures après l'accouchement ou dès le lendemain. Celles qui restent sont celles avec des pathologies qui nécessitent une surveillance spécifique à Mamoudzou et celles qui ont eu une césarienne jusqu'à 72H post césarienne.
Dans la journée, une infirmière puéricultrice s'occupe des nouveau nés (prises de sang, antibiotiques, vaccins, contrôles glycémies,...) mais la nuit c'est la sage-femme qui prend en charge les nouveaux-nés de son secteur avec ses 16 patientes au maximum.
Pendant la journée, il faut, comme en métropole, gérer les entrées, les sorties, faire l'examen quotidien des patientes, récupérer les résultats en cours, faire la visite avec le médecin, effectuer les actes médicaux et paramédicaux nécessaires. La nuit, il y a souvent moins d'actes à faire au près des patientes mais nous devons nous charger de la relecture de l'ensemble des dossiers (mamans et bébés) pour compléter les données et éviter les oublis ou erreurs. Il faut également le tour des patientes et faire les prises de sang du matin pour que les sages-femmes de jour récupèrent les résultats.
Petite particularité mahoraise, il y a également une sage-femme présente tous les matins pour organiser les transferts vers les maternités périphériques. Cela représente souvent un véritable casse-tête de sélectionner les patientes transférables, selon leur lieu d'habitation sur l'ile, pour les caser dans les 6 navettes journalières pour les 4 maternités périphériques.
Les grossesses pathologiques
2 SF + 2 AP/AS
7 chambres seules + 1 doubles + 5 triples
Il y a peu de différence par rapport à la métropole pour ce service. Avec le suivi de grossesse qui est parfois un peu léger, on accueille par contre certaines patientes avec des pathologies bien avancées car non diagnostiquées avant. Seule la maternité de Mamoudzou possède un service d'hospitalisation pour les grossesses pathologiques donc on reçoit également les transferts depuis les maternités périphériques. Chaque sage-femme prend en charge en binôme avec son aide-soignante jusqu'à 12 patientes.
Parfois l'hospitalisation est difficile à accepter pour les patientes. Les femmes ont souvent d'autres enfants en bas âge à la maison qu'elles doivent faire garder par la famille ou les voisins. Certains couples refusent également les interventions pour déclencher un accouchement ou au contraire pour éviter une mise en travail trop prématurée, c'est très souvent en lien leurs croyances musulmanes, "Allah va décider". Le discours est parfois difficile avec ces couples et malgré les explications sur les risques il y a quelques sorties contre avis médical ou des femmes qui ne se présentent pas au rendez vous de déclenchement.
A la maternité centrale de Mamoudzou, il y a des anesthésistes, gynécologues-obstétriciens et des pédiatres de gardes 24h/24h. Quelques internes également et parfois des externes et des étudiantes sages-femmes.
Concernant le travail en maternité périphérique, les médecins ne sont pas sur place, ce sont ceux de Mamoudzou qu'il faut appeler pour obtenir un avis ou une décision de transfert. Le transfert ce fait en ambulance sur les routes tortueuses de l'ile, il faut donc avoir le coeur bien accroché pendant le trajet... avec parfois des accouchements acrobatiques dans l'ambulance. Pour pallier à l'absence de médecins sur place, les sages-femmes sont amenés si nécessaire à faire des échographies (datation, mesure du col), des ventouses pour aider à sortir le nouveau né en cas d'urgence, des réanimations néonatales et des prises en charges d'hémorragies. Normalement les femmes présentant des grossesses à risques de complications pendant l'accouchement (antécédents de césarienne ou d'hémorragies du post-partum, suspicion de bébés macrosomes (poids supérieur à la normale) ou pathologies maternelles) doivent aller accoucher à Mamoudzou. Malgré l'information qui leur ait faite, certaines attendent le dernier moment du travail et se présente à dilatation complète en périphérie car elles ne souhaitent pas accoucher à Mamoudzou..
J'espère qu'avec cet article vous comprendrez mieux les particularités des maternités de Mayotte qui sont plus que des usines à bébés ;)
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